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- https://emerge.bandcamp.com/album/the-secret-teachers
Ils sont nombreux ceux qui ont voulu composer la musique des morts et, bien souvent, ils ont empesé leurs compositions d’un folklore de catacombes ou d’autel précolombiens. Il existe une autre manière de se projeter musicalement au-delà de la frontière, « sur le chemin qui éloigne de toutes les maisons », pour emprunter ces beaux mots à Philippe Jaccottet qui vient justement d’y disparaître. C’est le projet qu’ont formé le musicien macédonien Boban Ristevski et l’Allemand Dieter Mauson alias Occupied Head. Ils se sont placés dans la tradition du Livre des Morts tibétain, censé documenter les étapes d’altération de la conscience après la mort jusqu’à la renaissance. On ne dit pas si les deux musiciens sont convaincus de la réalité de la métempsycose mais ils ont pris le parti de figurer l’inconnu, la musique de l’inconnu, les sons de l’inconnu, sans aucun goût du spectacle, plutôt dans le flottement que connaîtrait le mort dans les limbes. Il n’est pas étonnant alors que cette musique s’apparente, dans son nuancier du gris, à celle de Bass Communion, le lieu musical où Steven Wilson a le plus souvent abordé les confins du trépas (Loss, Ghosts on Magnetic Tape…).
Une telle musique se poserait tout aussi bien sur les images du Stalker de Tarkovski – peut-être plus encore que la bande imaginaire inventée il y a 25 ans par Lustmord et R. Rich – c’est-à-dire que le gris – encore – se fait couleur dominante, non en manière de décor, mais emplissant tous les sens, jusqu’au touché qui l’amalgame à une humidité de couloir abandonné, de passage couvert et gâté par la pauvreté de la lumière. Les résonances, délicatement développées, glissent ainsi en long filin, diode minimale sur quoi s’égrènent quelques poussières de drone. Plus loin, un motif fredonnant, électronique, redonne du relief, fait paraître les crépitements combinés en timide séquence. Le morceau central, The Law of Three, précise la dimension cinématographique, presque gothique, gagnée peu à peu et discrètement. Les eaux semblent désormais de lointaines cataractes, les touches ululent, le crépitement se fait canevas concret. Le paysage s’est, sinon ouvert, du moins approfondi : on a franchi.
De la sorte, à la façon d’un étranger décodant peu à peu des signes d’abord indéchiffrables, on pénètre une architecture qui se montre régulière, une lente respiration musicale qui accorde l’héritage de la Trilogie de la mort d’Éliane Radigue à la Musik Aus der Grauzone d’Asmus Tietchens.
Denis Boyer
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